La Revue du Cinéma

Sur le mode mineur, un triomphe majeur.

THE FIGHTER - David O'Russel - US - 2011.

 

   

 

     Il y a toutes les raisons de se réjouir que ce scénario, aux accents connus de fraticide, est finalement échoué entre les mains du cinéaste David O'Russel et non celles du destinataire original, à savoir Darren Arronofsky. Ce dernier, qui est à l'orgine du projet, a finalement cédé sa place, au profit de son actuel domaine de lutte (il occupe le poste de producteur, auréolé du succès critique et public de ses The Wretsler et autre Black Swan). Il y a fort à parier que David O'Russel (que je connais mal, voir pas du tout car je suis passé à côté de ses films pour l'instant) n'est pas tombé dans le piège Arronosky.

     The fighter le démontre très bien: O'Russel n'est pas coincé dans un système de tics, une mise en boîte systèmatique de plans à la réthorique finalement lisse et creuse (la répétition, la rupture, etc...). Bien au contraire: la dialectique de O'Russel est très ouverte.

     Et me donne donc ici l'opportunité de la célébrer en vous offrant quelques clefs sur la réussite en mode mineure de la mise en scène de The Fighter.  

     Comme vous le découvrirez en visionnant la bande annonce, le sujet de The fighter consiste à vous raconter, 'based on a true story", une portion de la vie de deux frères, au début des années 90's, dont l'un a été champion de boxe dans un passé encore proche et l'autre en passe de le devenir. C'est aussi une histoire sur le crack, le récit de la longue déchance de l'ancien champion, et comment celle-ci va affecter les espoirs d'ascension de l'autre champion en devenir.
     Ici, pas de récit lié à la drogue par le phénomène d'addiction (ce à quoi, on imagine bien, Arronosfky aurait chaussé ses bottes pour sauter à pieds joints dans la flaque) ni même d'outrance dans le récit de la violence, et notamment celle des combats. Tout l'inverse même, d'Arronosfky: les combats sont longs, mous, presque indolores. Mark Walhberg les traverse stoîc, presque invincible, comme une pure figure de cinéma, idéalisée. La violence passera plus certainement dans la prestation démente (au sens littéral du terme, possédé!) de Christian Bale. Et le récit de la drogue sera plus certainement lié à une histoire de famille (illustrant au passage la seule trace d'humour du film, qui consiste à faire chuter le corps de Christian Bale dans les poubelles, à répétition, notamment pour fuir sa mère). Cette histoire de famille est dense, pronfonde, excellement écrite, et offre l'opportunité à David O'Russel d'en tirer un second film, un autre récit de famille, une famille dans laquelle les deux frères s'appeleraient le "grand" et le "petit" écrans.     

     La dialectique du film va se poser assez rapidement dans le rapport entre la figure du trop plein, et celle du presque vide. Au lieu de les opposer, David O'Russel en fait des figures frères, et c'est justement là que réside l'ingéniosité et la splendeur hollywoodienne du film.  Un grand, un petit frère. Le cinéma, la télévision. Le plein et le vide (la carnation de Mark Wahlberg à l'écran face au corps, en creux, de Christian Bale, ou inversement, le passé gonflé de prestige d'un frère et le vide à combler dans l'histoire de l'autre). Qui est le fameux "Fighter" du film: le personnage incarné par Christian Bale, dans sa lutte face à la came, où le combat de l'autre frère (Mark Wahlberg) face, notamment, à sa famille comme frontière à rompre pour avoir sa propre vie, sa propre existence. Qui incarne le petit écran, qui incarne le grand?  

     Une des premières clefs nous vient directement du générique, et notamment du plan où apparait précisémment le titre du film. Il s'agit d'un immense (et très rapide!) travelling arrière qui quitte les deux frères, au milieu de la rue, dos à nous mais face à une équipe de tournage. L'un des deux frères (l'ancien champion) lêve les bras de l'autre en guise de victoire feinte, amusée. En un mouvement de caméra, le titre apparaît et disparait. A la fin du plan, nous sommes tout au bout de la rue, loin d'eux. C'est un plan à la fois rapide et trés beau, trés intense (je dirais: sur le mode majeur).




   

     Un tout petit peu plus tard dans le film (aux environ du premier tiers), au autre plan vient fermer la séquence ouverte par le générique. Il s'agit d'un travelling intense, une distance courte mais pourtant éprouvé, en avant cette fois-ci, qui consiste à remonter la ligne du téléphone (fixe, à l'époque), du mur à la locatrice, par le long fil tendu. Ce second plan referme le premier et donne cette fois-ci un objet (le téléphone) qui formera, avec l'apparition de nombreux écrans de télévision à l'image, une champ lexical d'image, un système de discussion autour de la place qu'occupe le cinéma aujourd'hui dans nos vie.





 

     Entre ses deux plans se renferme l'une des plus belles séquences du film: Mark Wahlberg demande à la serveuse du bar d'être sa petite amie, après quoi il l'emmène au cinéma, sans trop de conviction quand au film à voir. Celui-ci s'intitule "La Belle époque" (en français dans le film). Une manière subtile d'exposer l'enjeu rapidement: le cinéma, au début des années 90, mais face à quoi? A quoi fait face le cinéma aujourd'hui? Au petit écran.

     On pourrait dire, d'une certaine manière, que Mark Wahlberg incarne la télévision d'aujourd'hui, comme une figure juvénile, de toute puissance, qui s'apprête à lâcher tout son potentiel dans son devenir. De l'autre côté d'un ring fraticide, le cinéma à l'abandon, désincarné par Christian Bale, à l'état extraordinairement moribond. Que nous dis donc cette séquence au cinéma dans le film? Mark Walhberg dort, se réveille et baille devant la "Belle Epoque" qu'incarne son frère. Une bonne partie de la dialectique est faites.



 

 

     Reste cette présence de la télévision et du téléphone. Une question de trajectoire, notamment, et qui nous raconte qu'au lieu de s'opposer et de se battre, l'affrontement entre les deux frères se fera en douceur, presque avorté. En effet, il apparaîtra un ton beaucoup plus doux que ce que l'on pourrait attendre d'un tel sujet. La trajectoire est à la fois double et commune. Le trop plein et le trop vide ne s'oppose pas, mais d'une certaine manière, se partage, se compléte. La présence figurée du Cinéma, l'insistance, par le bias de l'objet téléphonique, sur une époque révolue et la présence envahissante de la télévision dans le film (gênante même, puisqu'à l'origine de la plus grosse discorde entre les personnages du film), tout cela participe à subtilité de la mise en scène du film, et à la mise en place d'une dimension métafilmique. Le film commence à nous parler de lui-même.



 

     Alors qu'HBO sonne le glas, avec raison souvent, d'une certaine forme de cinéma aujourd'hui même, et qu'une certaine  stupidité accompagne le passage d'une forme à l'autre (les soeurs de Mark Wahlberg appelant sa petite amie, avec dédain: "MTV girl"!), le film de David O'Russel continue de concilier petit et grand écran.

     Le plan qui ouvre le film et celui qui le ferme se font echos: deux frères témoignent,face caméra et dans les conditions d'un reportage, de leur vie et de leur passion commune: la boxe. Si la source de la première image est nettement identifiable (une interview issue d'un film dans le film, à savoir un reportage sur le Crack pour HBO au tournage duquel nous assisterons pendant une bonne moitié du récit), la seconde image, celle qui conclue le film, bien que mimétique (on pourrait croire que c'est la continuité du plan d'ouvreture, mais justement non !) nous dévoile une origine un peu plus floue.

Cette image, la dernière, est-elle issue du même reportage que la première? Est elle issue d'un reportage sur le crack, comme l'annonce physiquement la performance de Christian Bale en ouverture. Ou existe-t-elle uniquement pour elle, c'est à dire indépandement de tout le reste du film (Christian Bale va beaucoup mieux à la fin)? Cette existence se fait elle au détriment du film, ou bien justement pour abonder en son sens, pour le faire exister "in fine", célébrer son indépandance vis à vis de tout autre forme de communication, vis à vis d'une époque désormais révolue (le début des 90's) où le cinéma prédominait toute les formes de récit visuel, d'histoire en image?


Ouverture

 

... et fermeture du film, regardez bien comment les places on changées!

   

     D'où nous vient donc cette image finale du film? Cette image d'interview des deux frères ne peut être extraite du film dans le film (le documentaire HBO sur le personnage de Christian Bale) car celui-ci est diffusé au milieu du récit, provoquant d'ailleurs scandal et réaction. A l'inverse de l'interview qui ouvre le film, l'interview qui le ferme est une image télévisuelle et pourtant cinématographique, qui avance par elle même, pour elle-même, par le plus bel effet d'aboutissement.

     Le "fighter" du titre, c'est finalement David O'Russel lui-même, le metteur en scène du film, qui continue de faire du Cinéma aujourd'hui, à célébrer l'heure de gloire de celui-ci à l'époque ou résonne plutôt la gloire du petit écran. C'est son combat, avec un certain triomphalisme, certe. On pourrait chercher du côté de Michael Mann (et la référence au monsieur, concernant son passage du petit au grand écran, n'est pas sans pertinence) notamment dans l'usage explicite de la caméra haute définition lors des combats filmés, mais également dans la manière de les présenter, tout comme dans le "Ali" de Mann (notamment l'effet de réel, à savoir l'apparation des dates de combats à l'image pour les introduire). Michael Mann apparaît cependant beaucoup plus sombre et moins magnanime que David O'Russel: ce n'est pas la même génération. Michael Mann, en citation, apparaît davantage comme Sugar Ray dans le film, c'est à dire comme quelqu'un de la "Belle époque" contre qui on ne pourrait pas gagner. Reste que David O'Russel est pour l'instant l'un des cinéastes, en l'espace de ce seul film, les plus convaincants de sa génération.


lien IMDB

 

lien du site officiel

 

bande annonce:

 

Courez vite voir ce film au cinéma le 09 mars prochain!



26/02/2011
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